René Guénon et la H. B. of L. après la mort de F. Ch Barlet 2
René Guénon, « Quelques précisions à propos de la H. B. of L. »
Le Voile d’Isis, octobre 1925.
« L’ « Occult Review », dans son numéro de mai 1925, rendant compte de l’article que nous avons consacré ici aux relations de F.-Ch. Barlet avec diverses sociétés initiatiques et plus particulièrement avec la « H. B. of L. » (« Hermetic Brotherhood of Luxor »), a ajouté au sujet de celle-ci quelques informations qui, malheureusement, sont en grande partie inexactes, et que nous pensons devoir rectifier en précisant ce que nous avions dit précedemment.
Tout d’abord, lorsque Barlet fut affilié à la « H. B. of L. », le siège de celle-ci n’était pas encore transporté en Amérique ; cette affiliation dut même être un peu antérieure à la publication de l’ « Occult Magazine », qui parut à Glasgow pendant les deux années 1885 et 1886, et dont nous avons sous les yeux la collection complète. Cette revue était bien l’organe officielle de la H. B. of L., dont elle portait en épigraphe la devise « Omnia vincit Veritas » ; nous n’avons commis aucune méprise sur ce point, contrairement à ce que semble croire notre confrère anglais. À cette époque, Peter Davidson résidait à Banchory, Kincardineshire, dans le Nouveau-Brunswick, et ce doit être seulement vers la fin de l’année 1886 qu’il alla se fixer à Loudsville, en Géorgie, où il devait passer le reste de sa vie. C’est bien plus tard qu’il édita une nouvelle revue intitulée « The Morning Star », qui fut l’organe de l’ « Ordre de la Croix et du Serpent », fondé par lui après la rentrée en sommeil de la « H. B. of L. »
D’autre part, c’est dans l’ « Occult Magazine » d’octobre 1885 que fut insérée une note exposant pour la première fois le projet d’organisation d’une colonie agricole de la « H. B. of L. » en Californie ; cette note était signée des initiales de T. H. Burgoyne, secrétaire de l’Ordre (et non pas Grand maître provincial du Nord, titre qui appartenait à Davidson). Il fut souvent question de ce projet dans les numéros suivants, mais l’idée d’établir la colonie en Californie fut assez vite abandonnée, et on se tourna vers la Géorgie ; on annonça même que Burgoyne serait à Loudsville à partir du 15 avril 1886, mais il n’ y fut pas, à cause de l’intervention de Mme Blavatsky à laquelle nous avons fait allusion. Burgoyne avait subit autrefois une condamnation pour escroquerie ; Mme Blavatsky, qui connaissait ce fait, parvint à se procurer des documents qui en contenaient la preuve et qu’elle envoya en Amérique, afin de faire interdire à Burgoyne le séjour aux États-Unis ; elle se vengeait ainsi de l’exclusion de la « H. B. of L. » prononcée contre elle et le colonel Olcott huit ans plus tôt, en 1878. Quant à Davidson, dont l’honnêteté ne donna jamais prise au moindre soupçon, il n’avait pas à « s’enfuir en Amérique », suivant l’expression de l’ « Occult Review »; mais il n’ y avait non plus aucun moyen de l’empêcher de s’établir en Géorgie avec sa famille, pour y constituer le premier noyau de la future colonie, laquelle ne parvint d’ailleurs jamais à prendre le développement espéré.
Le rédacteur de l’ « Occult Review » dit que derrière Davidson était Burgoyne, ce qui n’est pas exact, car leur fonctions respectives n’impliquaient aucun subordination du premier au second ; et, chose plus étonnante, il prétend ensuite que derrière Burgoyne lui-même était un « ex-Brâhmane » nommé Hurychund Christaman : il y a là une singulière méprise, et qui demande quelques explications. Mme Blavatsky et le colonel Olcott avaient été affiliés à la branche américaine de la « H. B. of L. » vers le mois d’avril 1875, par l’entremise de Georges H. Felt, qui se disait professeur de mathématiques et égyptologue, et avec qui ils avaient été mis en rapport par un journaliste nommé Stevens. Une des conséquences de cette affiliation fut que, dans les séances spirites que donnait alors Mme Blavatsky, les manifestations du fameux « John King » furent bientôt remplacées par celles d’un soit-disant « Sérapis » ; cela se passait exactement le 7 septembre 1875, et c’est le 17 novembre de la même année que fut fondée la « Société Théosophique ». Environ deux ans plus tard, « Sérapis » fut à son tour remplacé par un certain « Kashmiri brother » ; c’est que, à ce moment, Olcott et Mme Blavatsky avaient fait la connaissance de Hurrychund Chintamon (et non Christaman), qui n’était point le chef plus ou moins caché de la « H. B. of L. », mais bien le représentant en Amérique de l’ « Arya Samâj », association fondée dans l’Inde, en 1870, par le Swâmî Dayânanda Saraswatî. En septembre ou octobre 1877, il fut conclu, suivant l’expression même de Mme Blavatsky, « une alliance offensive et défensive » entre l’ « Arya Samâj » et la « Société Théosophique » ; cette alliance devait d’ailleurs être rompue en 1882 par Dayânanda Saraswatî lui-même, qui s’exprima alors fort sévèrement sur le compte de Mme Blavatsky. Celle-ci, pour des motifs que nous n’avons pu éclaircir, manifestait plus tard une véritable terreur à l’égard de Hurrychund Chintamon ; mais ce qui est à retenir, c’est que ses relations avec ce dernier coïncident précisément avec le moment où elle commença à réfuter l’assertion de l’ « Occult Review ».
Maintenant, il reste à chercher une explication de cette erreur : n’y aurait-il pas eu tout simplement confusion, à cause de la similitude partielle des deux noms, entre Chintamon et Metamon ? Ce dernier nom est celui du maître de Mme Blavatsky, le magicien Paulos Metamon, d’origine copte ou chaldéenne (on n’a jamais pu être fixé exactement là-dessus), qu’elle avait rencontré en Asie Mineure dès 1848, puis retrouvé au Caire en 1870 ; mais, dira-t-on, quel rapport y a-t-il entre ce personnage et la « H. B. of L. » ? Pour répondre à cette question, il nous faut faire connaître à notre collègue de l’ « Occult Review », qui semble l’ignorer, l’identité du véritable chef, ou, pour parler plus exactement, du Grand-Maître du « cercle extérieur » de la « H. B. of L. » : ce Grand Maître était le Dr Max Théon, qui devait par la suite créer et diriger le mouvement dit « cosmique » ; et c’est d’ailleurs ce qui explique la part que Barlet, ancien représentant de la H. B. of L. en France, prit à ce mouvement dès son début (c’est-à-dire, si nous ne nous trompons pas, à partir de 1899 ou 1900). Sur l’origine du Dr Max Théon, demeurée toujours fort mystérieuse, nous n’avons eu qu’un seul témoignage, mais qui mérite d’être pris en sérieuse considération : Barlet lui-même, qui devait savoir à quoi s’en tenir, nous a assuré qu’il était le propre fils de Paulos Metamon ; si la chose est vraie, tout s’explique par là même.
Nous n’avions pas voulu, dans notre précédent article, mettre en cause des personnes vivant encore actuellement, et c’est pour quoi nous nous étions abstenu de nommer M. Théon, à qui nous avions fait seulement une allusion en note ; mais, à la suite de l’intervention de l’ « Occult Review », une mise au point était nécessaire dans l’intérêt de la vérité historique. Il est même à souhaiter que ces éclaircissements en provoquent d’autres, car nous ne prétendons pas dissiper toutes les obscurités d’un seul coup ; il doit bien avoir encore quelques témoins des faits dont il s’agit, et, puisque certaines questions se trouvent posées, ne pourraient-ils faire connaître ce qu’ils en savent ? Le temps déjà long qui c’est écoulé depuis lors et la cessation de l’activité de la « H. B. of L. » leur donnent assurément toute liberté à cet égard ».