René Guénon – La période occultiste (1909 – 1912) – 3
La Hermetic Brotherhood of Luxor
II La Hermetic Brotherhood of Luxor dans « L’erreur spirite ».
René Guénon publie « L’erreur spirite » en 1921 (Voir bibliographie). Ce livre comporte de nombreux passages citant la H. B. of L.
« L’erreur spirite » (1921), éditions traditionnelles, 1981 :
« L’erreur spirite », pp. 20-21: « L’essentiel de ce qui précède est emprunté au récit d’un auteur américain, récit que tous les autres se sont ensuite contentés de reproduire plus ou moins fidèlement ; or il est curieux que cet auteur, qui s’est fait l’historien des débuts du modern spiritualism (3), soit Mme Emma Barbinge-Britten, qui était membre de la société secrète désignée par les initiales « H. B. of L. (Hermetic Brotherhood of Luxor), dont nous avons déjà parlé ailleurs à propos des origines de la Société Théosophique. Nous disons que ce fait est curieux, parce que la H. B. of L., tout en étant nettement opposée aux théories du spiritisme, n’en prétendait pas moins avoir été mêlée d’une façon fort directe à la production de ce mouvement. En effet, d’après les enseignements de la H. B. of L., les premiers phénomènes « spiritualistes » ont été provoqués, non point par les « esprits » des morts, mais bien par des hommes vivants agissant à distance par des moyens connus seulement de quelques initiés ; et ces initiés auraient été, précisément les membres du « cercle intérieur » de la H. B. of L. Malheureusement, il est difficile de remonter, dans l’histoire de cette association plus haut que 1870, c’est-à-dire que l’année même où Mme Hardinge-Britten publia le livre dont nous venons de parler (livre où il n’est d’ailleurs fait, bien entendu, aucune allusion à ce dont il s’agit maintenant) ; aussi certains ont-ils cru pouvoir dire que, malgré ses prétentions à une grande ancienneté, elle ne datait guère que de cette époque. Mais, même si cela était vrai, ce ne le serait que pour la forme que la H. B. of L. avait revêtue en dernier lieu ; en tout cas, elle avait recueilli l’héritage de diverses organisations qui, elles, existaient trés certainement avant le milieu du XIXe siècle, comme la « Fraternité d’Eulis », qui était dirigée, au moins extérieurement par Paschal Beverly Randolph, personnage fort énigmatique qui mourut en 1875. Au fond, peu importent le nom et la forme de l’organisation qui serait effectivement intervenue dans les évènements que nous venons de rappeler ; et nous devons dire que la thèse de la H. B. of L., en elle-même et indépendamment de ces contingences, nous apparaît au moins comme fort plausible ; nous allons essayer d’en expliquer les raisons. »
Idem, p. 25: « Il nous semble que cette interprétation s’accorde beaucoup mieux que tout autre avec la thèse de la H. B. of L. ; » … « … nous ajouterons cependant qu’il y a encore une autre hypothèse qui peut paraître plus simple, ce qui ne veut pas dire forcément qu’elle soit plus vraie : c’est que les agents de l’organisation en cause, que ce soit la H. B. of L. ou toute autre, se soient contentés de profiter de ce qui se passait pour créer le mouvement « spiritualiste », en agissant par une sorte de suggestion sur les habitants et les visiteurs de Hydesville. »
Idem, pp. 27-28: « Il y eut certainement aussi en Allemagne, depuis le début du XIXe siècle, d’autres sociétés secrètes qui n’avaient pas le caractère maçonnique, et qui s’occupaient également de magie et d’évocations, en même temps que de magnétisme ; or la H. B. of L., ou ce dont elle prit la suite, fut précisément en rapport avec certaines de ces organisations. Sur ce dernier point, on peut trouver des indications dans un ouvrage anonyme intitulé « Ghostland » (1), qui fut publié sous les auspices de la H. B. of L., et que quelques uns ont même crut pouvoir attribuer à Mme Hardinge-Britten ; pour notre part, nous ne croyons pas que celle-ci en ait été réellement l’auteur, mais il est au moins probable que c’est elle qui s’occupa de l’éditer (2) ».
Idem, p. 27, n. 1: « 1. – Cet ouvrage a été traduit en français, mais assez mal, et seulement en partie, sous ce titre : « Au pays des Esprits », qui est fort équivoque et ne rend pas le sens réel du titre en anglais. »
Idem, pp. 27-28, n. 2: « 2. – D’autres ont cru que l’auteur de « Ghostland » et d’ »Art Magic » était le même que celui de « Light of Egypt », de « Celestial Dynamics » et de « Language of the Stars » (Sédir, « Histoire des Rose-Croix », p. 122); mais nous pouvons affirmer que c’est là une erreur. L’auteur des trois derniers ouvrages, également anonymes, est T. H. Burgoyne, qui fut secrétaire de la H. B. of L. ; les deux premiers sont de beaucoup antérieurs. »
Idem, p. 28: « Il nous reste à poser ici une dernière question : quel but se proposaient les inspirateurs du « modern spiritualism » à ses débuts ? Il semble que le nom même qui fut alors donné à ce mouvement l’indique d’une façon assez claire : il s’agissait de lutter contre l’envahissement du matérialisme, qui atteignit effectivement à cette époque sa plus grande extension, et auquel on voulait opposer ainsi une sorte de contrepoids ; et, en appelant l’attention sur des phénomènes pour lesquels le matérialisme, du moins le matérialisme ordinaire, était incapable de fournir une explication satisfaisante, on le combattait en quelque sorte sur son propre terrain, ce qui ne pouvait avoir de raison d’être qu’à l’époque moderne, car le matérialisme proprement dit est d’origine fort récente, aussi bien que l’état d’esprit qui s’accorde aux phénomènes et à leur observation une importance presque exclusive. Si le but fut bien celui que nous venons de définir, en nous référant d’ailleurs aux affirmations de la H. B. of L., c’est maintenant le moment de rappeler ce que nous avons dit plus haut en passant, qu’il y a des initiés de sortes très différentes, et qui peuvent se trouver souvent en opposition entre eux ; ainsi, parmi les sociétés secrètes allemandes auxquelles nous avons fait allusion, il en est qui professaient au contraire des théories absolument matérialistes, quoique d’un matérialisme singulièrement plus étendu que celui de la science officielle. »
Idem, p. 98: « Les théosophistes ont accordé une importance considérable aux « élémentals » ; nous avons dit d’ailleurs que Mme Blavatsky en dut vraisemblablement l’idée à Georges H. Felt, membre de la H. B; of L., qui l’attribuait d’ailleurs tout à fait gratuitement aux anciens Egyptiens. »
Idem, pp. 217-219: « Nous ajouterons encore que, quoi qu’en prétendent les spirites et surtout les occultistes, on ne trouve dans la nature aucune analogie en faveur de la réincarnation tandis que, en revanche, on en trouve de nombreuses dans le sens contraire. Ce point a été assez bien mis lumière dans les enseignements de la H. B. of L., dont il a été question précedemment, et qui était formellement antiréincarnationniste ; nous croyons qu’il peut-être intéressant de citer ici quelques passages de ces enseignements qui montrent que cette école avait au moins quelque connaissance de la transmigration véritable, ainis que de certaines lois cycliques : « C’est une vérité absolue qu’exprime l’adepte auteur de « Ghostland », lorsqu’il dit que, en tant qu’être impersonnel, l’homme vit dans une indéfinité de mondes avant d’arriver à celui-ci… Lorsque le grand étage de conscience, sommet de la série des manifestations matérielles, est atteint, jamais l’âme ne rentrera dans la matrice de la matière, ne subira l’incarnation matérielle ; désormais, ses renaissances sont dans le royaume de l’esprit. Ceux qui soutiennent la doctrine étrangement illogique de la multiplicité des naissances humaines n’ont assurément jamais développé en eux-mêmes l’état lucide de conscience spirituelle ; sinon, la théorie de la réincarnation, affirmée et soutenue aujourd’hui par un grand nombre d’hommes et de femmes versés dans la « sagesse mondaine », n’aurait pas le moindre crédit. Une éducation extérieure est relativement sans valeur comme moyen d’obtenir la connaissance véritable… Le gland devient chêne, la noix de coco devient palmier; mais le chêne a beau donner des myriades d’autres glands, il ne devient plus jamais gland lui-même, ni le palmier ne redevient plus noix. De même pour l’homme : dès que l’âme s’est manifestée sur le plan humain, et a ainsi atteint la conscience de la vie extérieure, elle ne repasse plus jamais par aucun de ses états rudimentaires… Tous les prétendus « réveils de souvenirs » latents, par lesquels certaines personnes assurent se rappeler leurs existences passées, peuvent s’expliquer, et même ne peuvent s’expliquer que par les simples lois de l’affinité et de la forme. Chaque race d’êtres humains, considérée en soi-même, est immortelle ; il en est de même de chaque cycle : jamais le premier cycle ne devient le second, mais les êtres du premier cycle sont (spirituellement) les parents, ou les générateurs (1), de ceux du second cycle. Ainsi, chaque cycle comprend une grande famille constituée par la réunion de divers groupements d’âmes humaines, chaque condition étant déterminée par les lois de son activité, celles de sa forme et celles de son affinité : une trinité des lois… C’est ainsi que l’homme peut-être comparé au gland et au chêne : l’âme embryonnaire, non individualisée, devient un homme tout comme le gland devient un chêne, et, de même que le chêne donne naissance à une quantité innombrable de glands, de même l’homme fournit à son tour une indéfinité d’âmes les moyens de prendre naissance dans le monde spirituel. Il y a correspondance complète entre les deux, et c’est pour cette raison que les anciens Druides rendaient de si grands honneurs à cet arbre, qui était honoré au delà de tous les autres par les puissants Hiérophantes. » Il y a là une indication de ce qu’est la « postérité » entendue au sens purement spirituel ; ce n’est pas ici le lieu d’en dire davantage sur ce point, non plus que sur les lois cycliques auxquelles il se rattache ; peut-être traiterons-nous quelque jour ces questions, si toutefois nous trouvons le moyen de le faire en termes suffisamment intelligibles, car il y a là des difficultés qui sont surtout inhérentes à l’imperfection des langues occidentales.
Malheureusement, la H. B. of L. admettait la possibilité de la réincarnation dans certains cas exceptionnels, comme celui des enfants mort-nés ou mort en bas âge, et celui des idiots de naissance (2) ; nous avons vu ailleurs que Mme Blavatsky avait admis cette manière de voir à l’époque où elle écrivit Isis Dévoilée (3).
1. – Ce sont les « pitris » de la tradition hindoue.
2. – Il y avait encore un troisième cas d’exception, mais d’un tout autre ordre: c’était celui des « incarnations messianiques volontaires », qui se produiraient tous les six cent ans environ, c’est-à-dire à la fin de chacun des cycles que les Chaldéens appelaient Naros, mais sans que le même esprit s’incarne jamais ainsi plus d’une fois, et sans qu’il y ait consécutivement deux semblables incarnations dans une même race ; la discussion et l’interprétation de cette théorie sortiraient entièrement du cadre de la présente étude.
3. – Le Théosophisme, pp. 97-99.
Idem, p. 233, n. 2.